Sweet Home

Myrtille Bourgeois, 2022

Ils sont beaux. Aussi loin que je m’en souvienne, je les revois – beaux, tous deux – s’embrassant à pleines bouches goulûment ou lorsque l’élégante Isabelle est arrimée en hauteur contre un pilier d’un centre de tri postal en robe du soir, ou lors d’une traversée inaugurale d’un pont en décapotable, aristocratiques et présidentiables.
Ils sont beaux. Comme ce soir du 6 mai 2022 pour le vernissage de « The George Tremblay solo Show, exposition et performances », avec Isabelle, casaque rouge , hautement talonnée de souliers noir rayés de rouge et inversement et Serge, Heidi Slimanien en diable en costume deux pièces sombre sur chemise blanche. Ils manient la performance comme pas deux, réfutent par ailleurs l’emploi de cette dénomination ; appelons la chose alors, événement.
L’événement débute par un bonus secret, celui dont on ne doit pas dire l’essence, la chute, ni même mentionner l’existence. Disons juste que ça démarre bien, comme une mise en bouche drôlatique et bien vue.
Puis, les deux entrent en scène, musique. À leurs pieds, une façade de maison en kit, prête à monter. Ça tombe bien, elle sera hissée par un complice au cours de l’événement, révélant ainsi sa face cachée, toute en dorure puisque recouverte de couvertures de survie isolantes en Mylar.
Isabelle se place dans l’encadrement d’une fenêtre de la façade posée au sol, micro sur pied devant elle, elle y récitera le discours du 16 avril 1968 de Georges Pompidou à Cahors, alors premier ministre de la République française. Il y aborde les problèmes de l’agriculture dans le cadre de la construction européenne et les besoins en formation inhérents à la situation. Le duo se réapproprie la chose en remplaçant toutes les mentions évoquant l’agriculture en culture. L’agriculteur devient artiste, la France devient Bordeaux ; le discours reflète alors une situation délicate pour tout professionnel de la profession :

Et bien je voudrais que de cette réunion d’artistes particulièrement moderne et bien équipée ressorte une impression d’optimisme et de confiance dans l’avenir. Tout d’abord parce que contrairement à ce qu’on dit trop souvent, la création artistique n’est nullement condamnée par l’évolution. Ce qui est condamné par l’évolution c’est une certaine forme d’art, que j’appellerais si vous voulez, une création de survivance où les artistes vivaient en quelque sorte de l’amour de l’art et à l’écart de l’activité économique.

Au fur et à mesure de la progression du discours gouvernemental proto mai 1968, la maison se relève, la façade remonte, sous l’œil de Serge qui évalue, observe, dirige en silence les gestes du complice embusqué depuis les mezzanines. Isabelle fait un pas de côté pour ne pas entraver le levage de la façade dorée. Musique. Under the moonlight, this serious moonlight Let’s Dance.
Billie Eillish, Bad Guy.
Et hop, pas de deux, ils sont beaux et ils dansent bien. Ensemble. Ces duettistes de l’art contemporain sont George Tremblay Show depuis 2002, mêlant la pratique de la danse de sal(o)on, à celle de la sculpture et à l’installation. Héritiers des attitudes dadaïstes, habités par l’esprit Fluxus, ils aboutent depuis maintenant vingt années d’âge tendre, la chose politique à diverses sources dont le cinématographe, la danse et la pure pratique artistique. Ce duo d’artistes, composé d’Isabelle Fourcade, architecte-scénographe-artiste et de Serge Provost artiste slash performeur manie l’absurde et le witz. Et hop, pas de côté, entrechat, pas glissé, pas chassé, le discours pompidolien s’achève avec une façade dorée presque bien relevée – la tekhné du presque, chère à Robert Filliou, est ici respectée avec talent, puisque l’adhérence entre façade et mur de chez Pola n’est pas parfaitement accomplie, et c’est voulu m’assurera-t’on, ... puis du champagne. Car tout doit finir avec des bulles. Une infanterie de ligne, portant vêture soignée et bouteilles vient clore l’événement et le discours, mais soupçonnant un mauvais coup (un sabrage de Champagne festif et surprise), le premier rang du public se meut et se recule. Or non, nous fûmes eus, point de sabrage mais plutôt, un artistique popage de bouchons au dessus de nos têtes pusillanimes.
Au milieu de la pétillance et de la musique, ils viennent enfin saluer leur public. Ils sont simplement beaux.
Je laisse le mot de la fin à Andy Warhol :
Je n’ai jamais voulu être peintre. Je voulais être danseur de claquettes.
Merci.

 

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