Suns Can’t Burn

Léa Pagnier, 2023

Une fleur de lys ne sort pas de terre, mais s’enracine dans un amoncellement de verre pilé. Autour d’elle, des pièces sont dispersées : certaines sont suspendues, d’autres disséminées sur les murs. Le tout est enveloppé d’une lumière jaune souffre et d’un bruit sourd, diffus. Telle est l’atmosphère singulière et inquiétante de l’exposition personnelle d’Alexia Chevrollier Suns Can’t Burn (Les soleils ne peuvent pas brûler). Invitée par le collectif nantais Bonus à concevoir une exposition à sa galerie, le Grand Huit, en parallèle de la 12e édition du Voyage à Nantes, l’artiste plasticienne choisit d’habiter le lieu par une mise en espace sublimée, et affirme, une nouvelle fois, la sensibilité de sa pratique plurielle, toujours envisagée sous le prisme de la matérialité.

Suns Can’t Burn est l’occasion pour Alexia d’aborder, dans l’espace du Grand Huit, les notions de mouvement, de fragilité et de contingence, et d’apporter, à travers ses œuvres, d’autres regards pour contempler et comprendre un monde en constante mutation. Dans l’exposition, dont le titre poétique renvoie à toute une imagerie du paysage, Alexia crée de manière intuitive un monde en train de se faire, un univers énigmatique à explorer. Usant d’artifices simples, elle propose une mise en scène de ses pièces, et plonge les visiteureuses dans une expérience sensorielle inédite. L’espace, conçu comme un territoire mystérieux, reproduit symboliquement la puissance lumineuse d’un four de fusion, utilisé pour la métallurgie et la verrerie. L’artiste actualise ainsi la vidéo Foyer (2018), projetée ici, dans laquelle elle filme en gros plan l’intérieur incandescent d’un four empli de verre. Semblable au cratère d’un volcan en éruption, celui-ci symbolise la création, son origine, ses aléas, sa magie. En faisant appel à l’imagination de chacune, cette oeuvre participe à la fabrique de cet étonnant paysage.

Alexia peint avec la matière. Des vestiges mémoriels. Des formes aléatoires. Des stigmates de rouille. Des anatomies molles. Des courbures contraintes. Des pièces qu’elle nomme affectueusement des « tableaux-sculptures » ou des « sculptures-tableaux ». La série À force égale (2019), qui emprunte son titre et sa picturalité à la toile surréaliste d’Yves Tanguy (À force égale, 1935), témoigne sans doute le mieux de ce parti pris. Suspendues dans les airs, ces pièces en verre soufflé, funambules déchues, traitent, par leur fragilité, de l’altération inévitable des corps et des choses, de cet aspect transitoire de la vie.

Alchimiste attentive et patiente, Alexia cherche à percer les mystères des substances et des matériaux qu’elle utilise. L’artiste révèle la temporalité, les spécificités et les variations de ces matières industrielles, organiques ou minérales, qui s’avèrent toujours poreuses à leur environnement, puisqu’elles se métamorphosent continuellement, avec l’eau, le feu, l’air, le temps, passant parfois d’un état à un autre. Le triptyque Sans titre (2023), par exemple, atteste de la vulnérabilité de ces objets dont l’existence est constamment régie par le hasard. En évolution permanente, sensible à l’humidité, cet ensemble de trois plaques en plâtre est non seulement porteur des gestes de l’artiste et des humeurs de la matière, mais aussi d’une pensée sur la temporalité précaire des oeuvres d’art.

Synthèse de plusieurs années de recherche, lors desquelles l’artiste a approfondi ses expérimentations, l’exposition est un environnement rhizomique, oscillant entre ordre et chaos, et offre la possibilité aux publics de s’aventurer dans un parcours réflexif. A rebours des systèmes productivistes délétères du capitalisme, Alexia partage ses réflexions sur les manières d’être au monde, et propose des pistes pour établir de nouveaux rapports au vivant.

 

Texte produit dans le cadre de l’exposition personnelle Suns Can’t Burn (2023), sur une invitation de Bonus, le Grand Huit, Nantes.

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