Fine observatrice des paysages agricoles, des gestes des agriculteur
rices, des traces de la nature domestiquée, Barbara Schroeder rend hommage au monde paysan, à ceux celles qui soignent la terre. Elle tend à mettre au jour des empreintes de la vie à la campagne, s’attache à redonner de la noblesse à celles et ceux qui façonnent, entretiennent les sols et nourrissent la planète. Ses réflexions germent au gré de ses gestes de collectes et de transformation des matériaux issus du sol, habitat d’êtres en dormance.Barbara Schroeder s’est d’abord intéressée à la pomme de terre comme aliment qui rassemble et contribue à la survie alimentaire, notamment en cas de crise. Ce légume est également, selon l’artiste, symbole de liens féconds. Elle réalise des sculptures en porcelaine, donnant ainsi à la pomme de terre un caractère précieux. Parfois, le changement d’échelle révèle la diversité de leurs formes et le soin qu’on peut porter à sa culture. Elles apparaissent alors telles des rochers, des monticules, émanant des transformations des paysages. Sa série Les échos fait référence aux Kartoffelsteine, monuments en hommage à la pomme de terre que l’on érigeait jadis sur les places publiques des villages allemands pour honorer le tubercule qui avait sauvé la population de la famine au 18e et au 19e siècle. Son regard sur le sol et les terres travaillées par l’homme s’exprime également au travers de son intérêt pour les racines. Sa série Bodenansichten – constituée de racines de chrysanthèmes, de pissenlits et d’autres végétaux qu’elle a ramassées dans les déchets verts du cimetière de son village, moulées en plâtre, puis coulées à la barbotine de porcelaine – est redéployée selon les lieux d’exposition. L’artiste observe également les chemins, les circulations, les traces de notre passage. Ses peintures et ses dessins montrent des ramifications, des portraits de végétaux avec leurs racines (Au centre de leur ombre). Dans la série Les oubliées, réalisée à l’encre verte sur d’anciennes cartes pédagogiques murales de la librairie Armand Colin, elle révèle la morphologie des plantes tout en leur ajoutant des fruits à maturité et autres excroissances, symptômes des mutations génétiques en cours.
Depuis sa découverte des bouses de vaches dans la vallée de l’Aspe, elle travaille avec ce matériau dont elle apprend peu à peu les propriétés plastiques. À partir de ses qualités, de ses caractéristiques, qu’elle révèle, une nouvelle vie émerge. L’artiste « embouse » des objets utilitaires, souvent abandonnés, signe de l’obsolescence technique. Ils apparaissent tels des vestiges, des déchets, typiques d’une société qui met au rebut les moindres éléments usagés. Les formes géométriques moulées rappellent ainsi l’usage de cette matière produite par l’animal, en tant que matériau de construction ancestral. Le recouvrement est, pour Barbara Schroeder, un geste de soin, de réparation. La bouse de vache apparait alors comme une pommade, une crème réparatrice composée de matières organiques secrètes.
Son approche d’un art en relation avec les enjeux de société, de partage et du commun, se traduit également dans son œuvre in process, un banquet. En fonction des expositions, cette grande tablée grandit et se poursuit par des dons de porcelaines de différentes régions et pays. Chaque pièce est alors nommée par le prénom de la personne qui l’a confiée. Le dressage de ce banquet s’augmente au fur et à mesure des installations où tout un chacun peut contribuer. Œuvre sociale, ce banquet tend aussi au dialogue, à la transmission de messages. Barbara Schroeder explique son processus de travail afin de témoigner des pratiques, des savoir-faire des agriculteur rices, de transmettre une mémoire agricole, celle d’une région où elle est invitée à exposer. Elle rend visible une agriculture artisanale, qui résiste et survit. Face au banquet, les visiteur ses peuvent ressentir des odeurs qui refont surface. Un paysage, à la fois merveilleux et provoquant le retrait, suscite des réflexions, des interrogations sur le monde en transformation. Cette œuvre peut également rappeler le dernier repas de la cène, l’urgence d’un partage, avant que tout s’effondre. Des végétaux y poussent, signe d’une renaissance à venir. Récemment, l’artiste a commencé à s’attacher aux figures féminines qui soignent la terre, ces paysannes, semeuses. Elle crée des bustes les représentant avec des végétaux qui poussent sur leur tête, des effigies de ces travailleuses de l’ombre.
Ainsi, les travaux de Barbara Schroeder nous amènent à ralentir, à observer et à prêter attention au sol vivant sur lequel nous marchons. Sa démarche rend compte de son attention au monde agricole et de sa quête sur les origines des vies, de nos déplacements. Des histoires collectives qui, bien souvent, restent au cœur des villages. Ses œuvres rendent visible l’origine des premiers liens à la terre, à l’animal, à la culture, aux gestes qui se transmettent de génération en génération.