Les îles de l’estuaire apparaissent et s’absentent au gré des marées. Elles échappent à toute détermination et entretiennent une sorte de constante incertitude. Elles s’élargissent et se resserrent, sont travaillées par la tension du proche et du lointain et traversées par tout un jeu d’échos. Elles émergent comme des énigmes, sombrent parfois et cèdent aux remous de l’imaginaire.
La disparition de l’île de Trompeloup, dont on ne voit plus que le phare fantomatique se dressant en face de l’île de Patiras, a été l’élément déclencheur des premières images de la série Voyages insulaires de la photographe Maitetxu Etcheverria. Ce paysage multiplie les points de vue qui ne cessent de se contester et de se contredire. Constamment en dialogue abrupt avec lui-même, il est à la fois un et pluriel, inscrivant la pluralité dans l’unité et l’unité dans la pluralité, ni excessivement refermé, ni seulement ouvert, déjouant même cette opposition. Il s’étend devant nous, identique et toujours renouvelé.
Maitetxu Etcheverria l’aborde par ce degré de réalité mouvante, complexe qui lui confère sa force agissante. Elle s’arrête sur des situations qui n’offrent que des éclairages partiels sur ce qui s’y déroule. C’est en raison de ce rapport particulier aux éléments que quelque chose résiste et intrigue. Cette sorte d’attente indéfinissable s’accentue dans ses portraits de jeunes travailleur
ses agricoles temporaires, photographié es au repos, dans une proximité sans innocence avec la rudesse de cette nature. Souvent nomades, alternant les contrats saisonniers, ils elles vivent cette immersion dans ce territoire « comme une parenthèse dans leur parcours, une période favorable au retour sur soi ». Ils elles ne se perdent pas dans l’abondance, le flux, le mouvement, l’excès de l’espace se pressant fortement tout autour d’eux elles. Ils elles puisent dans la dureté de cette expérience une liberté plus vaste, une vie insoupçonnée qui leur donne la force de faire face et d’aller de l’avant. Ils elles sont étonnamment présent es dans leur capacité à retrouver un sens de l’éveil qui inaugure une relation au monde, avant toute parole. Ils elles savent l’importance de porter au loin leur regard sans pour autant négliger ce qui entoure au plus près.Dans cette remarquable série de photographies, Maitetxu Etcheverria déploie une attention profonde aux îles du Médoc et à ses saisonnier
es, et donne à l’aventure perpétuelle de cet espace des images marquées par une subtile imprégnation picturale où cohabitent étonnamment douceur et violence. Le vide et le plein s’y succèdent dans une singulière interférence, le liquide et le solide s’y côtoient ou s’y mêlent et ajoutent de mystérieuses dimensions.
Ce texte porte sur la série Voyages insulaires (2017)