Geörgette Power

vu par

Eric Loret

Découpages

Geörgette Power, ce sont certes d’abord des images mouvantes, mais dans celles-ci, surtout du langage et des espaces. Dans ses vidéos, un discours en voix off, souvent dans des langues étrangères, ou digitalisé et rendu à sa matérialité par divers trucages, traverse des objets qui ne lui répondent pas. C’est le cas dans Déflagration (2011), où une femme coud des drapeaux tandis que sa voix raconte une fiction ; ou encore dans Espace vert (2020), montage d’images documentaires et de found footage {note}1 sur un poème de l’artiste traduit en chinois. « Je mesure tout en respirant » y déclare-t-il. Ce qu’on peut entendre dans cette phrase, c’est qu’un découpage en quelque sorte naturel, organique et involontaire, est possible : il suffirait de respirer ou marcher pour trouver non pas du sens mais une « mesure », c’est-à-dire une distance nécessaire, un rythme, une intensité particulière.

Même si ce n’est pas ce qui caractérise le mieux son œuvre, on peut dire qu’il y a des « motifs » dans l’œuvre de Geörgette Power : la recherche des origines, le déplacement, l’altérité, le spray nasal. On voit à peu près à quel arpentage ou nomadisme identitaire les premiers peuvent renvoyer. Le dernier a à voir avec la respiration et une forme de découpage qui intéresse vivement l’artiste : celui des phonèmes. Un souffle passe par les voies aériennes. L’appareil phonatoire divise. Les parties du monde sont nommées. Les dernières recherches de Power sont ironiquement intitulées Histoire naturelle des voix de synthèse (2022) : le découpage phonologique qui permet à des programmes de « lire » des textes à voix haute (que ce soit sur internet ou dans nos gares, bus, etc.) est à l’origine d’une nouvelle forme de poésie. Des phrases grammaticalement et sémantiquement correctes, débitées (au sens propre) par des machines, reconfigurent avec humour et légèreté notre sentiment des choses. La parole n’y est plus « une visée interne », pour reprendre les termes de Merleau-Ponty, mais une absence débonnaire, voire affectueuse, d’aspiration à une quelconque signification.

On connaît les artistes collagistes, mais on parle très peu des découpagistes. Geörgette Power est assurément de ceux-ci. Bien sûr le plaisir et l’intelligence de l’assemblage des objets et des silhouettes sont importants dans ses vidéos (par incrustation, animation, etc.), mais peut-être moins que le choix et l’attention dans le prélèvement. « Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ? » demande-t-on dans La quatrième dimension (2016). Comment découpe-t-on du sens dans le réel ? Il existe des catégories que d’autres ont conçues avant nous mais de quoi ou de qui témoignent-elles ? Parmi ces systèmes de bornage, la signalétique (panneaux routiers, publicités, étendards, etc.) intrigue régulièrement l’artiste. Il s’en saisit et, en re-sectionnant la communication visuelle existante et en la recollant autrement, il nous permet de découvrir, à travers les sutures, le continuum originel du réel.

1Matériau vidéo trouvé et détourné

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