Winshluss

vu par

Vincent Brunner

Qu’il s’approprie les codes des publicités des années 1950, le dessin rond des studios Walt Disney ou une photo de Diane Arbus, qu’il dessine dans Picsou Magazine ou voit un de ses films présenté au festival de Cannes, Vincent Paronnaud (Winshluss) adopte la même démarche, subversive et pyromane. Cet artiste pluridisciplinaire, touchant au dessin, à la céramique, au film ou à la musique, n’aime rien d’autre que recycler les objets artistiques appartenant à la mémoire collective. Ainsi, il peut dans un premier temps rassurer le public – celui-ci croit être en terrain connu – avant de lui asséner une claque. Car, au lieu de contenir des sucreries ou des jouets, ses piñatas si attirantes et colorées déversent sur l’assistance des idées noires, critiques de la mondialisation ou de notre société de consommation. Mais - politesse de sa part - il n’oublie jamais d’adoucir l’expérience en ajoutant une touche d’humour ou donnant à ses travaux une dimension ludique qui permet de mieux faire passer messages et névroses.Winshluss - comme il s’est lui-même surnommé - s’est construit loin de la culture officielle, expérimentant d’abord dans l’underground. Ses premières bandes dessinées le voient investir avec une jouissive férocité l’univers de Mickey (Super Negra) ou détourner constructivisme russe et science-fiction kitsch pour Monsieur Ferraille, personnage de robot inventé avec son complice Cizo. Smart Monkey (éditions Cornélius), plus tard adapté en court-métrage, le voit revisiter avec beaucoup d’humour noir la théorie de l’évolution de Darwin. Mais c’est avec Pinocchio (les Requins Marteaux, prix du meilleur album au festival d’Angoulême) qu’il se livre à l’opération de mystification la plus impressionnante. En effet, il montre très peu de respect envers le roman de Carlo Collodi. Il a en effet basé son adaptation sur un vague écho indirect, le souvenir de la vision, enfant du long-métrage signé Disney. Du schéma narratif initial – le pantin qui prend vie – il n’a gardé que le minimum, pervertissant ensuite cette enveloppe pour obtenir une grinçante satire.

C’est avec le même mauvais esprit qu’il a investi le monde de l’art contemporain, poussé par la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois à s’exprimer en volume. En 2013, son exposition au musée des arts décoratifs Winshluss un monde merveilleux joue ainsi sur le contraste entre les couleurs acidulées, accueillantes, et l’humeur inquiétante pour dépeindre le monde actuel. Avec Une histoire et au dodo, ce plasticien taquin revisite ainsi les contes populaires mais, au lieu de croiser une sorcière anthropophage vivant dans une maison en pain d’épices, ses Hansel et Gretel rencontrent un clown enseigne d’une entreprise de fast-food vivant dans un hamburger géant. Plus récent, le dessin Guernikea, projetant dans la jungle un magasin de la marque suédoise spécialisée dans le mobilier, raille le modèle occidental. Pour son installation, Le Déjeuner sous l’herbe, il remixe librement le tableau de Manet, Déjeuner sur l’herbe, s’appropriant la composition du peintre français pour imaginer sa version sous-terraine et morbide. Réduits à l’état de squelette en clins d’oeil aux calaveras du jour des morts mexicain, les trois convives manient argent et arme tandis que surgit, à l’arrière-plan le monstre de L’étrange créature du lac noir, film d’horreur de 1954. Plus conceptuel, Ciné club montre les mains du personnage incarné par Robert Mitchum dans La nuit du chasseur simplement posées sur une rambarde. Lui qui a cosigné avec Marjane Satrapi Persépolis (prix du jury au festival de Cannes 2007) et Poulet aux prunes continue d’être inspiré par le cinéma, qu’il soit d’animation (La Mort, père et fils) ou avec des acteurs (Territoire et son berger des Pyrénées projeté dans une sorte de western spaghetti des Pyrénées). Hyperactif, Winshluss jongle avec les disciplines. Il est revenu à son premier amour, le rock’n’roll (Brutuss64) et ne délaisse pas la bande dessinée. Après Dans la forêt sombre et mystérieuse, relecture du Petit Poucet et des contes qui ne se moque pas des enfants, il a imaginé en collaboration avec le FRAC Aquitaine l’agitée Gang Of Four d’après Untitled 4, un cliché de Diane Arbus. Créant des passerelles entre les (mauvais) genres et l’art plus institutionnel, Vincent Paronnaud préfère la marge au chemin suivi par la majorité.

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