Parlons de choses. Le mot paraît vague ? Il est riche. Très riche même. Du reste, en l’écrivant, je l’associe immédiatement aussi bien au langage le plus usuel qu’aux noms de Michel Foucault {note}1 et Georges Perec {note}2, autrement dit une pensée complexe et un auteur obsessionnellement saisi par le débordement du monde qui entoure l’individu. Ce terme signifie à la fois ce qui existe dans le réel, constituant de fait le réel même, et, nous dit le dictionnaire, « tout objet concret par opposition aux êtres animés ». Je ne saurais mieux aborder que par ce mot la démarche d’Agnès Aubague. Ce qui en procède en effet pourrait être envisagé comme une extension tous azimuts du domaine des choses, sachant que par son imprécision le mot porte en lui une multiplicité d’applications.
Exemple patent : les accessoires utilisés dans ses performances et ses lectures. S’ils ne sont à l’évidence pas là par hasard, ils ajoutent par leur présence une dimension visuelle, laquelle introduit une attention plastique autant qu’elle offre une échappée polysémique : la bouée fluo d’un flamant rose est une bouée fluo de flamant rose, mais aussi une bouée, un flamant rose, un souffle prisonnier, une couleur, les vacances, que sais-je... Toute chose au fond se trouve à la fois vierge d’interprétations et simultanément chargée d’une infinité de lectures. Herméneutique sauvage.
Mais je ne l’ai pas encore dit, Agnès Aubague est poétesse et artiste. Cela inscrit naturellement ses productions dans l’histoire déjà longue de poètes-artistes expérimentant l’acte créateur sans contrainte de territoire. Les modalités adoptées par chacun{note}3) que d’une curiosité joueuse à partir de ce qu’Agnès Aubague appelle son « petit écosystème ». Ainsi les photographies de la série commencée en 2020 intitulée Miracle tentant de figurer l’infigurable d’une sensation, appartiennent-elles, en tant que photos, au domaine de l’objet. Ce qu’elles représentent ne subvertit pas leur nature photographique. Au contraire, c’est le précipité photographique qui les fonde comme choses. Roland Barthes le soulignait : ce sont les chimistes les inventeurs de la photographie, pas les peintres. Agnès Aubagne parle à propos des siennes d’« acte magique », formule pouvant s’appliquer à ses agencements d’objets (abat-jour couronné, galet surmonté d’un mini-parasol de cocktail) relevant quant à eux d’une théâtralité sans langage, du moins verbal.
e se révèlent souvent singulières, au-delà de leur transversalité. Dans son cas il s’agit moins, me semble-t-il, d’une recherche de poésie « totale » au sens où l’entendait Adriano Spatola (une sorte d’élargissement du domaine poétiqueAu passage, il faut le dire, ce n’est pas que le mot ait déserté de ses modes opératoires, mais, par la force des choses justement, il n’est là que comme élément parmi d’autres d’un langage étendu à l’ensemble des artefacts créateurs (photos, actions, collages, enregistrements sonores, etc.), et à toutes les langues, celle des oiseaux comprises. Des oiseaux ? Des vrais oiseaux ? Aussi. Car Agnès Aubague est une siffleuse. Mais sa langue des oiseaux est ce tout qui est la poésie même, celle qui transfigure les choses en formules énigmatiques et les mots en choses démultipliées de mystère.