PAINT IT BLACK

Jean Poussin, 2006

Cette série d’œuvres de Florent Contin-Roux a pour fil rouge l’utilisation d’images préexistantes, et il s’agit d’un simple aperçu sur les recherches actuelles de l’artiste, basées depuis de longs mois sur le rapport peinture / photographie. Tirées de différents registres — intime, historique, médiatique — ces photographies constituent la matière première d’une réflexion sur l’importance de l’image dans nos vies et dans notre rapport au monde. Le trop-plein d’images, leur défilement continuel et le zapping auquel est souvent contraint l’individu sont ici pointés par l’artiste. Il entend opérer un tri, un choix qui revient à proposer une pause dans ce déferlement sans fin. C’est que l’impact d’une image est souvent disproportionné par rapport à l’événement qu’elle prétend représenter. C’est aussi que la plus banale des images pourra accéder au statut d’icône, si elle est suffisamment mise en scène. Dans ce flot d’images, certaines surnagent, certaines nous obsèdent, sans que l’on sache exactement pourquoi ; elles reviennent, inlassablement. Refusant de s’en tenir à ce constat, Florent Contin-Roux a choisi d’accepter "toutes les images du monde" et de questionner certains de ces flash-back.

Ce travail sur l’image se double d’une réflexion sur la mémoire, mêlant souvenir intime et actualité politique, images historiques et visions de la banalité quotidienne. Démunis devant le passage de notre histoire personnelle, nous le sommes aussi face à l’oubli de l’histoire collective. L’image, censée faciliter le souvenir, est aussi l’écran qui nous masque la réalité des choses perdues à jamais. Elle reste là, ou resurgit quand tout a disparu, mais bien souvent il n’y a plus grand-chose derrière. La photographie n’est-elle pas « cette image qui produit la mort en voulant conserver la vie {note}1 » ? Et nous nous débattons sans cesse, aux prises avec cette mémoire inextricablement intime et collective. Le flash-back débouche sur le black-out. Trop de mémoire tue la mémoire, dit-on parfois, et c’est aussi pour cela que nous avons besoin de l’œuvre d’art.

Ici, l’irruption de la peinture est capitale. En couches de noir et de gris, parfois occupant tout l’espace, parfois laissant subsister le motif, elle va entamer avec l’image un dialogue subtil. Des taches viennent perturber la lecture des images, qui subsistent, pourtant, en transparence. Peinture et photographie entament un dialogue ; elles se répondent et se percutent comme l’espace et le temps. Patiemment, la surface est reconstruite ; Des paysages se dessinent, incertains, comme vus à travers une vitre. Dans ces gestes-là, Florent Contin-Roux retrouve toute la richesse, et aussi toute l’ambiguïté du rôle de l’artiste. Il s’agit tout à la fois d’effacer et de conserver, de recouvrir et de découvrir. Car si la mémoire est nécessaire, l’oubli l’est tout autant. Il s’agit, au bout du compte, de révéler. Terme qui pourrait relever du vocabulaire photographique, mais ici il est bien question de peindre. Révéler par l’effacement. Révéler l’image, ou ce qu’il y a derrière ; mais aussi révéler la perte, la disparition de l’enfance, le temps qui passe et l’oubli de l’histoire. Pour que quelque chose subsiste.

1Roland Barthes, La Chambre claire, note sur la photographie, Cahiers du cinéma, Gallimard, Le Seuil, 1980, p. 144.

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