
Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne
Vue de l’exposition Khloris, Clorox, Galerie Alain Gutharc, Paris, 2018-2019
Avec Mars Bitches, Suzanne Husky s’empare du langage de la tapisserie pour représenter un paysage où s’entrechoquent deux réalités contemporaines. Dans la partie supérieure du tapis, le ciel s’anime d’images spectaculaires et légères : le mème Nyan Cat, incarnation d’une culture numérique virale, voisine avec la Tesla lancée dans l’espace par Elon Musk, geste grandiloquent qui fit le tour du monde en 2018. Ces symboles traduisent l’euphorie technologique et la capacité de la Silicon Valley à produire des récits d’avenir, entre conquête spatiale et mythologies digitales.
Au sol, la composition se charge d’une autre intensité : les tentes de fortune, les fauteuils roulants et les signes d’une vie précaire rappellent la condition quotidienne de milliers de personnes vivant dans les rues de San Francisco. La présence des fauteuils roulants ne suggère pas l’abandon d’objets, mais plutôt celui des individus qui les utilisent – révélant l’absence d’un système social protecteur et la vulnérabilité particulière des personnes handicapées dans ce contexte.
Cette juxtaposition souligne une contradiction centrale de la ville : capitale mondiale de l’innovation et de la richesse, San Francisco est également l’un des lieux où les inégalités sociales se manifestent avec le plus de brutalité. Alors que certains explorent l’espace et investissent dans l’imaginaire d’une vie sur Mars, d’autres peinent à survivre dans l’espace urbain immédiat.
Le choix du tapis comme support renforce encore ce contraste.
Traditionnellement associé à l’abri, au confort domestique et à la continuité des savoir-faire artisanaux, il devient ici le lieu d’une confrontation entre l’extravagance des élites technologiques et la précarité des laissés-pour-compte. L’œuvre invite ainsi à réfléchir sur la manière dont nos sociétés organisent leurs priorités : l’investissement dans le spectaculaire et le lointain se fait souvent au détriment du soin apporté au proche et à l’essentiel.
En plaçant côte à côte le rêve cosmique et la dureté terrestre, Suzanne Husky fait de Mars Bitches une image de notre époque : un monde obsédé par ses utopies futuristes, mais traversé par l’urgence des réalités sociales qui, elles, demeurent au ras du sol.
Source ?
