Laurent Terras

vu par

Richard Leydier

Laurent Terras. Précis d’écologironie

Il y a dans l’œuvre de Laurent Terras une urgence écologique. Mais il faut d’emblée préciser qu’elle est largement ironique. On pourrait du reste imaginer une nouvelle catégorie de pensée, à mi-chemin entre la prise de conscience et le bon sens : l’écologironie.

Ainsi, l’artiste propose de faire chauffer son fer à repasser au soleil (les Ultra-Terrestres [Repassage], 2017), ou bien d’adapter un tambour de machine à laver sur une bicyclette (L’Essorage des utopies, 2009), plutôt que de brancher les appareils électroménagers. Les économies d’énergie réalisées permettraient ainsi de sauver la planète. Mais l’artiste sait bien, et nous le savons aussi, que ces gestes, aussi engagés et pleins de bonnes intentions soient-ils, sont dérisoires face à l’ampleur de la tache et des dégâts commis par plusieurs générations.

C’est bien dans ce hiatus que s’introduit Laurent Terras. Entre le dérisoire et la catastrophe. Chacune de nos actions, selon la loi du battement d’aile d’un papillon, a une incidence dont nous n’avons pas toujours conscience. Par exemple, saviez-vous que la moindre recherche entamée dans le moteur de recherche google consomme la même énergie nécessaire pour faire bouillir un litre d’eau dans une casserole ? C’est le sens de l’œuvre intitulée Chercher encore (2014). Le titre est écrit à l’aide de durites dans lesquelles circule, mu par une pompe électrique, du liquide de refroidissement. Ce dernier peut-il lutter contre le réchauffement climatique et la surchauffe des data center ? En tout cas, les œuvres de Laurent Terras réalisées selon ce procédé nous invitent à prendre de la hauteur. De près, elles évoquent le réseau sanguin d’un corps humain placé sous perfusion. Mais si l’on s’élève un peu, on songe à un réseau autoroutier saturé, défigurant encore la planète, où les bulles d’air apparaissent comme autant de véhicules affolés, circulant à la queue leu leu, coincés dans un trafic hystérique, et consommant toujours plus de carburant. Ce carburant est évoqué par un ensemble de céramiques en dégourdi de grès (TechnoFossiles, 2012) : des bidons d’huile, d’essence, une bonbonne de gaz, soit tout ce qu’on appelle aujourd’hui les énergies fossiles, et qui ne sont plus ici que les lointains et mauvais souvenirs d’une époque révolue, lorsque l’humanité future aura enfin trouvé la bonne énergie de substitution. Dans ce musée des choses obsolètes, les humains y tiendront sans doute une bonne place. Peut-être auront-ils disparu depuis longtemps, ou tout bonnement quitté cette planète qu’ils auront consciencieusement détruite.

Il convient donc de prendre de la hauteur, dans une capsule spatiale de secours (Space Nurse Project, 2004) mais qui ne fonctionne pas, ou bien tout recommencer avec ce primate contemplant une tour de PC, tout droit surgi du 2001 l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (Carl et le dernier singe, 2005). Là se situe précisément l’alternative. Le gap entre dérisoire et catastrophe se double alors d’un choix qu’il convient d’opérer entre un bricolage salvateur et une technologie de pointe qui bugge et patine. Laurent Terras a choisi le low et le do it yourself, car ils offrent davantage de possibilités. Ils permettent d’exploiter une grande diversité de matériaux dits « pauvres », de la céramique à l’électronique de base. Et en ce sens, le dessin, matériau le plus primaire qui soit, s’avère le creuset de tous les projets, en ce qu’il représente un précieux espace de liberté. Le do it yourself permet enfin de s’affranchir d’une technologie par trop prégnante et génère une nécessaire indépendance dans le cadre d’une économie auto-suffisante et collaborative, comme dans Hydroponie, Flower power et Effet de serre (2005), où il s’agissait de faire croitre des plantes diverses, dont les graines avaient été plantées par les visiteurs de l’exposition.

Comme nous ne pouvons pas encore tutoyer les étoiles, du moins pas le commun des mortels, il nous reste à explorer ce qui subsiste de la planète à l’aide de véhicules trafiqués. Les images ramenées par l’ERM Rotover (2006), lors de ses diverses missions d’exploration dans le sud-ouest et ailleurs, révèlent que la Terre est encore belle, et qu’il demeure beaucoup de choses à y découvrir, pour qui saurait un tant soit peu regarder et faire montre d’enthousiasme.

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