Regards sur les marges invisibles d’une métropole en mouvement.
Cet ensemble de photographies, entamé en juillet 2025 sous un ciel systématiquement clair, porte le titre Habiter l’intervalle. Ce choix traduit l’exploration des zones de transition de la métropole bordelaise, ces espaces situés entre centre et périphérie, entre l’urbanité dense et les marges plus diffusées. Le titre s’inspire indirectement de l’ouvrage de Robert Adams The Place We Live. N’ayant pas trouvé d’équivalent pertinent en français, j’ai préféré opter pour une formulation plus conceptuelle, qui évoque à la fois l’espace géographique et l’état d’esprit propre à ces territoires. Ce travail s’inscrit dans la continuité de la série Banlieue (2022–2023), réalisée en petite couronne parisienne. Ici, le territoire exploré est celui de Bordeaux Métropole, avec un focus particulier sur ses zones périphériques : entre boulevards intérieurs, rives de la Garonne et rocade et portes d’entrées. L’ambition est de couvrir, à terme, l’ensemble des 28 communes qui composent la métropole.
Habiter l’intervalle adopte une approche documentaire subjective, fragmentaire et parfois ironique, qui interroge les notions de métropole, d’urbanité et d’architecture. Il s’agit de mettre en tension le banal et le symbolique, l’usuel et l’exceptionnel, en révélant les micro-récits de la ville contemporaine. À travers ces images, je développe une esthétique suburbaine attentive aux signes du quotidien et aux objets récurrents de l’espace public — panneaux, publicités, plantes, antennes GSM, blocs de béton, poteaux électriques, poubelles, logos… Ces éléments ne sont pas de simples objets fonctionnels ou accessoires. Ils composent une véritable grammaire visuelle, un langage silencieux mais dense qui structure l’espace et oriente le regard. À travers leurs formes, leurs couleurs, leur disposition répétée, ces signes ordonnent le territoire, créant des motifs récurrents qui traduisent l’identité fragile et mouvante des zones périphériques. La voiture, quant à elle, dépasse sa fonction utilitaire pour devenir un actant central de la scène urbaine. Par sa présence constante, elle participe à la composition visuelle et narrative de mes images. Véritable symbole de la mobilité, du quotidien et de la temporalité suburbaine, elle marque le rythme, rythme les cadrages et ponctue les paysages. Elle agit comme un lien tangible entre les habitants et leur environnement, incarnant à la fois la liberté et la contrainte liées à la vie en périphérie.
Ainsi, ces objets et ces véhicules ne sont pas seulement des décors, mais des acteurs essentiels qui révèlent, par leur banalité même, les micro-récits et les dynamiques cachées de la ville contemporaine. Mon travail s’attache à déchiffrer cette grammaire invisible, à capter ces signes discrets pour en révéler la poésie et la complexité.
La présence humaine, ponctuelle mais jamais anecdotique, réintroduit la question du temps, et plus précisément de l’instant, dans une référence assumée à la notion d’« instant décisif » formulée par Henri Cartier-Bresson — non comme un dogme, mais comme une interrogation sur ce que signifie aujourd’hui photographier le réel.
Mon approche s’inspire également de plusieurs figures majeures de la photographie contemporaine qui, chacune à leur manière, nourrissent ma démarche :
Jeff Wall, pour la portée politique et sociale de son œuvre, sa capacité à construire des images-monde qui questionnent les réalités urbaines complexes.
Stephen Shore, pour sa liberté de regard sur la ville, oscillant entre banalité apparente et complexité.
William Eggleston, pour ses visions épiphaniques et déconcertantes qui révèlent la richesse chromatique et émotionnelle du banal, en magnifiant les scènes ordinaires avec une intensité singulière.
Ce projet propose un regard critique et sensible sur les marges métropolitaines. Il ne s’agit pas d’un inventaire, mais de faire émerger une atmosphère, une tension, une identité. Habiter l’intervalle questionne la manière dont les formes urbaines conditionnent nos usages, nos trajectoires et notre rapport à l’espace.