Sébastien Vonier

vu par

Pierre Tillet

Géographique, domestique, entropique - À propos de la sculpture de Sébastien Vonier

Parmi les œuvres de Sébastien Vonier, nombreuses sont celles qui relèvent indéniablement de la sculpture, mais qui peuvent aussi être regardées sous un angle utilitaire. Elles reposent sur la tension entre deux régimes a priori antithétiques : elles font signe vers l’art et, simultanément, recyclent une rhétorique fonctionnelle. Il en va ainsi de Sans titre (2006), cimaise construite puis laissée à l’état brut qui, avec ses marques d’enduit, fait songer à la peinture. Dans le même temps, elle est dotée d’une efficacité spatiale : elle barre le passage entre deux salles d’exposition. La composition des sculptures murales réalisées depuis 2005 a l’air à la fois abstraite et aléatoire. Pourtant, ces œuvres ont pour référents des plans de villes. Chacune d’elles renvoie à un quartier d’une ville inconnue, les îlots ayant été laissés vides, tandis que les rues apparaissent en relief. Enfin, par leur facture neutre, au moins en ce qui concerne leur fabrication et leur assemblage, elles s’apparentent à des étagères ou des bibliothèques au curieux dessin : le géographique rencontre ici le domestique. Installées dans l’espace public, les Excroissances (2005) sont semblables aux structures en tubes de métal servant à protéger des arbres ou à interdire la circulation. Mais leur rapport au muret ou au lampadaire auxquels elles sont adossées, leur forme tortueuse, voire parfois leur couleur, interdisent de les assimiler à ce qu’elles miment. Elles parasitent discrètement l’équipement qu’elles imitent, minant de l’intérieur les contraintes, généralement non interrogées, qu’il implique. Quant aux 5 bancs publics à Bordeaux (2004), ce sont des répliques de mobilier urbain, néanmoins porteurs de curieuses inscriptions. Des rendez-vous sont gravés sur leur dossier, en grosses lettres d’une typographie faussement conviviale, sans indication de date (seuls un jour et une tranche horaire apparaissent). Cette appropriation privée d’un espace public est contradictoire, car elle est anonyme et destinée à tous, suggérant que quelque chose pourrait se passer, sans spécification quant à sa nature. Elle relève d’une sorte d’esthétique relationnelle normée, en suspens, tournant à vide.

Une autre manière d’approcher la démarche de Sébastien Vonier est de l’envisager à partir de catégories telles l’ambivalence ou l’hybridation. Pontmain (2006) est une œuvre formée de cinq éléments régulièrement espacés, qui évoquent des tableaux, générant en quelque manière l’illusion d’une ouverture. On pourrait même voir dans cet ensemble une succession de variations paysagères, avec une ligne d’horizon variant de hauteur. L’ironie est que les constituants de Pontmain ont été découpés dans un mur en brique, dénotant la fermeture. Sans titre (2008) repose sur une logique semblable : celle du fragment, en l’occurrence des portions d’enrobé, matériau d’un intense noir bitumineux. Dressés à la verticale, ces éléments superficiels d’une route détruite, au dessin accidentel, apparaissent tels des détritus civilisés. Ils rappellent Asphalt Rundown (1969) et la répartition aléatoire de ce matériau, déversé par Robert Smithson depuis un camion sur la pente d’une carrière abandonnée, près de Rome. La prise au sol de l’asphalte ainsi répandu, avec les immanquables fissures et crevasses qu’elle entraîna, évoque en retour une autre œuvre de Sébastien Vonier, Névés (2009). Ces plaques de béton lisse, élevées sur d’agressifs treillis métalliques, appellent à la fois l’idée de la ruine prochaine de toute architecture et l’image de séracs chaotiques à la surface d’un glacier. Le paysage est d’ailleurs une préoccupation récurrente de Sébastien Vonier. Ainsi, à Agen (Lot-et-Garonne), il a réalisé Maladeta (2009), une moquette colorée installée au pied du mur d’escalade d’un complexe sportif. Au sol, la composition, complexe, semble abstraite. Vue depuis le haut du mur, elle apparaît dans sa totalité et prend un sens nouveau. Comme lorsqu’il découvre un panorama naturel, une fois son ascension achevée en montagne, le grimpeur est saisi par le spectacle d’une carte à grande échelle. Cette carte – la moquette colorée, donc – est celle du massif de la Maladeta (Pyrénées espagnoles). C’est un paysage codé, dont l’artifice répond à celui du mur d’escalade. Maladeta est rendue plus antinaturelle encore par ses couleurs inhabituelles (proches de celles des prises d’escalade en résine) et par le référent du document (une carte géologique délestée de ses informations textuelles). Cette œuvre s’inscrit dans la continuité de Sans titre (2006), marqueterie irrégulière de pièces de linoléum dont l’assemblage est semblable à une vue aérienne de parcelles cultivées.

À ces deux pièces closes sur elles-mêmes, s’opposent des travaux plus ouverts, instables. Main courante (2004) est une sculpture citant un élément d’architecture qui, privé de l’escalier auquel il est ordinairement lié, ne guide plus le corps, mais seulement le regard. Élévation (2008) joue sur le même registre, sauf que le volume défini par la main courante a été basculé à l’horizontale. Le basculement est fréquent dans l’œuvre de Sébastien Vonier : renversement spatial, basculement du fragment architectural à la peinture, du plan au volume, de la sculpture à l’objet ou au paysage. Cette réversibilité se manifeste aussi dans Relâche, réalisation au titre du 1% artistique dont la livraison est prévue pour 2013. Pour l’extension d’un collège à Pont-l’Abbé (Finistère), Sébastien Vonier propose un ensemble de poutres de bois disposées comme au hasard. L’état déconstruit de la forme qu’elles composent renvoie à l’idée de ruine. Mais comme on le sait en histoire de l’architecture, la ruine peut être la source du chantier : elle est potentiellement une source pour une construction à venir, le terreau d’une forme susceptible d’émerger. Ceci est d’autant plus évident, ici, que les poutres présentent des entailles, laissant présager un assemblage possible. Outre que Relâche dynamise l’espace en tirant des lignes au sol, ce projet se situe entre la construction et la démolition, l’édification positive et le no man’s land. Ce qui en fait un terrain de jeux dégagé des normes de l’apprentissage, la possible amorce de nouveaux modes de sociabilité.

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