Dress codes

Cyril Vergès et Cécile Broqua, 2009

Du 15 décembre au 23 janvier, Cortex Athletico offre sa première exposition personnelle en galerie à la plasticienne Chantal Raguet. Depuis 2004, l’artiste travaille sur un projet qu’elle a intitulé New French Fauvism, NNF, qui interroge le rapport de l’homme à la figure du prédateur, du mâle dominant. Chantal Raguet s’est immergée dans l’univers du cirque afin de se rapprocher progressivement de la relation que développe et entretient le dresseur avec ses fauves. Elle présente un ensemble d’oeuvres qui crée des correspondances entre des univers masculins, virils, gouvernés par des rapports de domination/soumission. De l’armée à travers ses références au règne animal, au monde du cirque dans ce qu’il donne à voir comme tentatives de contrôle sur la puissance du vivant, en passant par l’évocation érotique que traînent dans leur sillage ces rapports de pouvoir, NNF est le résultat d’une recherche de longue haleine. Les pièces, sur le fil du décor et du décoratif, s’offrent au regard comme les éléments fictifs de l’intérieur d’une roulotte de dresseur à l’atmosphère décalée et camp. Rencontre avec l’artiste.

Vous montrez pour la première fois des oeuvres inscrites dans un projet initié en 2004 intitulé Nouveau Fauvisme Français. De quoi s’agit-il ?

NNF pour New French Fauvism avec le NF de la Norme Française. Un mouvement inédit au croisement de deux histoires, celle des peintres fauves désignés ainsi pour un emploi outrageant de la couleur et leur capacité à contrarier l’instinct, puis celle des fauves « super prédateurs » qui voient en noir&blanc.

Cette recherche semble être dans le prolongement de celle que vous avez menée sur le thème du camouflage. Existe t-il vraiment une continuité ?

Le pelage des fauves, rayures de tigres ou variations tachetées des panthères, est antérieur à tout autre camouflage. Il n’y en a pas deux identiques, c’est leur empreinte digitale. En 2003, je débute une série d’avions Jaguar que je revêts du même motif que leur nom militaire. ORNEMENT/ARMEMENT, je suis saisie par la quantité d’emprunts existant entre l’univers martial et celui des dresseurs de fauves. Les filets pour freiner les avions sur les pistes utilisées au-dessus des cages, les toiles de tentes et convois rachetés à l’Armée ou le dolman, tenue guerrière avant d’être pare-griffes chez les dompteurs. J’ai même vu des pilotes de Tiger Squadrons habillant leurs avions de chasse d’une livrée camouflage tigre ! Tout cela m’a conduite à la réalisation des vestes bleu, blanc, rouge décorées d’insignes Tiger Meet et de patchs brodés de félins, puis aux paysages I fear for you qui retracent l’implantation stratégique et passagère du cirque sur un territoire.

Vous montrez plusieurs pièces dont Cages Cascade (2008-2009), un lustre réalisé en chaînes et anneaux de laiton, deux peaux de panthère conçues à partir de vêtements cousus posées au sol, des grilles surmontées de plugs, Hang me by the tie (2007), une cravate en cotte de mailles en rondelles et First bite (2005), un collier de dents d’homme sculpté dans l’os de boeuf. Les oeuvres bousculent les frontières entre le décor et le décoratif et semblent venir ici érotiser la question de la domination à travers des réferences à l’univers SM...

Sans la grille, il n’y aurait pas eu la cage, sans la cage, il n’y aurait pas eu le dompteur. La grille supporte l’ornement, la cage le contient. Chaînes, requisits ou mobilier de cage sont quotidiens au travail des fauves. La présence du fouet, les bottes de cuir et les tenues moulantes ne sont pas accessoires mais nécessaires à la survie du dompteur. La piste, la cage et le cerceau contenus dans le lustre style French Quincaille, sont bien le lieu d’une démonstration d’amour et d’entente réciproque même entre différentes espèces qui, sans la présence de l’homme, combattraient à mort. Il maintient l’ordre en quelque sorte. On a même baptisé un Mixed Act {note}1français de 1937 La Paix dans la Jungle. On passe du dressage en férocité au dressage par pelotage. Comme on est passé de la peau de fauve au mur à celle au sol. Du trophée à la peau d’un animal sauvage dressé que l’on a aimé, dont on a partagé le quotidien, avec qui l’on a travaillé pendant des années, à qui l’on a donné un nom. Ici c’est la Cindy de Dickie C. et la Kenny de Gunter GW Avec la configuration des trois grilles forgées, je fais directement référence au Bouncing Act {note}2. Les colliers First Bite en os sont plus qu’une alternative à ceux avec dents de tigre ou de requin.

Vous semblez fascinée par la figure du dresseur...

C’est pour son potentiel d’incarnation d’héroïsme, la monstration du contrôle, celui de la culture sur la nature sauvage. Plus précisément, je suis fascinée par les liens qui l’unissent à son groupe de fauves au sein duquel il est le mâle dominant. Mais le dompteur est l’ornement de la ménagerie, star du show, il existe par sa tournée rayonnante avec ses tenues pour seule fantaisie. L’exhibition répétée de sa mise en péril est basée autour de l’exercice de sa domination sur l’indomptable. Lors du numéro, son langage, ses regards et chacun de ses mouvements sont maîtrisés. En réalité, je passe beaucoup d’heures à étudier les enchaînements. Aux répétitions, je le vois en présentateur d’animaux eux aussi artistes et athlètes.

Comment envisagez-vous de faire évoluer ce projet ?

J’aimerai justement faire sortir le dresseur du chapiteau, pour ce que sa présence remue comme questions historiques, sociales, symboliques ou éthiques qui évoluent sur fond de nomadisme, de kitsh populaire, de danger et de succès. J’ai amorcé cette possibilité en 2008 avec Dickie at Gavarnie, un photomontage qui m’a permis de poser un dresseur au coeur d’un cirque montagneux. Je vais finir de coudre les peaux en cours, daisie, la tigresse de Gilbert H., Doutschka, la panthère des neiges d’Alfred C. et des jaguars noirs pour les faire voyager là où est né le concept de cages sans barreaux. Le projet NNF recèle d’autres ramifications mais that’s all for now.

Journal Spirit n°56, p.16

1Le Mixed act est un numéro rassemblant différentes espèces de fauves - lions & lionnes, & tigres & tigresses ; lions & lionnes & panthères - n’existant plus aujourd’hui - ours & hyènes & fauves ou encore lynx & pumas & chats sauvages. Les dangers et la tension y sont plus grands que dans un numéro de dressage qui ne met en scène qu’une seule espèce.

2Le Bouncing Act était une forme dangereuse de présentation des fauves où le dresseur rentrait dans une cage rectangulaire relativement petite (forme wagon-cage) et faisait bondir les lions et les lionnes autour de lui.

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