Devenir-Aquatique #1

Nadia Russell Kissoon, 2019

« L’immensité est, pourrait-on dire, une catégorie philosophique de la rêverie. (...) Par le simple souvenir, loin des immensités de la mer et de la plaine, nous pouvons dans la méditation, renouveler en nous-mêmes les résonances de cette contemplation de la grandeur. Mais s’agit-il vraiment alors d’un souvenir ? (...) L’imagination n’est-elle pas déjà active dès la première contemplation ? En fait, la rêverie est un état entièrement constitué dès l’instant initial. Elle fuit l’objet proche et tout de suite elle est loin, ailleurs, dans l’espace de l’ailleurs. » {note}1



Chaque paysage peint de Maya Andersson est un dépassement du paysage tel qu’elle l’a vu avec la connivence de la relativité de ses sentiments, et tel qu’il était avant qu’elle n’en arrête le mouvement. Un paysage est un dépassement du monde. C’est une construction précise de deux mondes, celui de l’immensité vécue et de l’immensité intérieure qui créé enfin ce troisième monde. Ce dernier est de l’ordre de l’agencement. Ses peintures sont alors empreintes d’un Devenir et d’un Désir-paysage car peindre un paysage c’est construire un ensemble. La manière de l’ordonner, dépend alors de ce désir. Peindre un paysage est une manière d’être au monde et une expérience de soi. C’est toujours un choix. Un cadrage dans l’immensité du réel. Tout comme devenir c’est « devenir-autre », c’est se déterritorialiser, c’est « faire un monde » {note}2. C’est un voyage dans un inconnu. Pourtant, un paysage est codifié et réunit les quatre éléments. Deux suffisent à le constituer. Chaque paysage reprend une organisation du monde en le vectorisant sur la toile et chaque paysage est une organisation globale du monde qu’il synthétise. On peut alors affirmer que peindre un paysage est un acte héraclitien si l’on considère l’impermanence de nos sentiments face au monde et l’impermanence même du monde comme constituante de l’œuvre.



L’eau, le ciel et entre les deux la terre.

Mais avant cela, il y a le voyage.

Le paysage vécu. La température, les odeurs, les couleurs, les bruits.

Les sens en éveil.

« Soudain on voit quelque chose. »

En chemin, les croquis, les dessins, les photos.
« Ne garder que l’essentiel. »
"Une image mentale.

« Chaque tableau est un voyage. »

Se mêlent au retour des réminiscences.

Le temps, l’espace, l’Histoire, l’Histoire de l’art.



« Devenir-Aquatique #1 » réunit différents mondes. Des paysages des Backwaters et du lac Chittar en Inde et ceux des Gaves réunis à Peyrehorade en France. Deux continents, deux lumières, deux eaux, deux saisons. Il est difficile de décrire un paysage de Maya Andersson, car il s’agit d’une expérience qui est de l’ordre de l’intime. Mais on ne peut se tromper. « C’est bien le vert Maya Andersson ». C’est la force des artistes qui sans relâche travaillent encore, encore et encore un même sujet. Sa peinture est tout de suite reconnaissable. La vitalité lumineuse de ses couleurs en aplats opaques et transparents. Leur dimension immatérielle artificielle et évanescente. Il y a quelque chose de l’ordre de l’immanence. Les peintures de Maya Andersson possèdent ce « pouvoir de génération lumineuse » dont parlait Henri Matisse. Elle irradie la couleur qui à son tour se révèle et nous happe. Maya Andersson est une faiseuse de mirages qui sont ici accentués par la dimension aqueuse de ses peintures. Pour Gaston Bachelard, « L’eau s’imprègne de toutes les couleurs, de toutes les saveurs, de toutes les odeurs ». Elle nous propose ici des arrêts sur l’image qui vibrent à travers le pouvoir ondoyant de l’eau dont on perçoit toute la mouvance. L’exposition est conçue comme un travelling qui débute par des paysages aux plans resserrés sur les canaux des Backwaters et ouvrent sur des étendues d’eau à l’étale. C’est une peinture qui nous invite à avancer. Avancer veut dire s’arrêter. Accepter d’explorer son intériorité afin de « renouveler en nous-mêmes les résonances de cette contemplation. »

Texte de l’exposition « Devenir-Aquatique #1 », Monkey Mood, 2019.

1Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Chapitre VIII « L’immensité de l’intime », Ed. Puf 1957, P. 168.

2Gilles Deleuze, Felix Guattari, Mille Plateaux, Capitalisme et schizophrénie, Paris, Éditions de Minuit, 1980, P. 343

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