44°50’54N/0°34’19W : Johann Milh, Public Domain

Myrtille Bourgeois, 2010

Jeune diplômé de l’Ecole des Beaux Arts de Bordeaux en 2007, Johann Milh présente, dans le cadre de la programmation 44°N, une série de peintures à l’huile au CAPC Musée d’art contemporain. Ces sept toiles ont pour décor une ville anonyme et archétypale, inscrite dans une modernité froide, déshumanisée. Chacun de ces paysages modernes implique, en son architecture anguleuse et autoritaire, un personnage exprimant sa colère ou son désarroi. Ces skateurs dépossédés de leur planche poussent des cris mutiques, s’affrontent à des contraintes urbaines dont ils expérimentent inlassablement les contours. Public Domain met à l’épreuve des corps en quête d’équilibre, obstinés dans leur opiniâtreté à surpasser l’échec et la douleur.

Kiss the real

Cette série illustre les interrogations d’un artiste ancré dans la contemporanéité, par le choix d’une thématique résolument urbaine et novatrice. Le skate est pour lui prétexte à explorer, mettre en image des êtres en butte à un territoire normatif et rationnel. Ces espaces sans vie, hormis les rares touches paysagères venant animer certaines toiles, sont les théâtres de combats sans fin. Le skateur privé de sa planche prothétique s’escrime ici à affronter le concrétisme d’un décor ordinaire afin de se l’approprier, non sans douleur. Cette immédiate modernité adopte pourtant des postures nettement plus classiques. Le parti pris technique est en cela essentiel : Johann Milh a choisi de peindre à l’huile, procédé à la charge traditionnelle voire académique requérant rigueur et virtuosité dans son emploi. L’exécution même des sept œuvres de la série tisse des liens subtils entre plusieurs courants picturaux où éléments figuratifs et abstraits s’interpénètrent. Certaines peintures mêlent des fonds à la facture radicale, à la touche proche de l’abstraction tout en ménageant une large place à des détails, des fonds ou des figures traités dans une veine réaliste.

La composition s’inspire de la sphère cinématographique par l’utilisation de son vocabulaire technique. Chaque œuvre est construite comme un photogramme, capture visuelle du climax d’une action ratée, le skateur échouant dans sa tentative de rentrer une figure. Le champ de l’image se subordonne aux angles de prises de vues et aux choix des types de plans (américain, moyen, d’ensemble). Plongée et contre-plongée, solarisation extrême évinçant les ombres des personnages, parti-pris d’un extérieur-nuit concourent à la mise en scène de sentiments exacerbés. Car ces peintures reflètent avant tout cet état d’accablement et de rage sourde qui pousse l’individu à excéder les limites du soi. Johann Milh peint des moments de ruptures, des espaces de tension dans des architectures aliénantes, spots à conquérir pour se les réapproprier et les épuiser, à l’instar d’un châssis vierge à exploiter sans contrainte, sans figure imposée.

Johann Milh a découvert la pratique artistique par le biais du skateboard. Sa jeunesse s’est déroulée en marge des villes, dans des zones périurbaines où skater était jugé subversif car marginal et destructeur. C’est dans la banlieue lyonnaise qu’il s’est formé auprès d’un ancien champion de France de Freestyle en s’entraînant inlassablement dans un hangar prévu à cet effet. Pour l’artiste, la part de subordination inhérente à un apprentissage académique ne correspond cependant en rien à la dimension de liberté et de sédition propre à l’univers du skate. Toutefois, cet attrait pour une discipline aux contours difficilement cernables (ni vraiment un sport, ni véritablement un loisir) s’est accompagnée d’un inextinguible désir d’images.Pour comprendre le skate, il faut envisager son contexte : sa bande originale, ses codes vestimentaires et langagiers et l’importance de la visualité. Tout skateur s’inscrit dans la praxis par une activité physique où le principe de perfectibilité est maître. Le mimétisme et la répétition infatigable d’un même geste permettent à l’aspirant d’intégrer une figure, de la rentrer. Ces expérimentations empiriques s’effectuent par émulation auprès des pairs mais aussi par la consultation de magazines et de vidéos visant à mettre en scène le « potentiel figure » d’un lieu ou d’un espace mais aussi les ratages, les chutes, l’échec propre à une démarche de dépassement de soi. Johann Milh découvre alors l’immanence de l’image, de ses principes compositionnels à son caractère empreint d’imaginaire. Déconstruire une figure de skate, en saisir la structure et les lignes de force poussent l’artiste à dessiner pour d’abord copier les images et enfin en produire d’inédites et de plus personnelles.

Myrtille Bourgeois

Public Domain, CAPC, 5 Février au 18 Avril 2010

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