Alexandre Chanoine

vu par

Bruno Almosnino

« On ne grave pas tant une pierre qu’on l’écoute »

Ça tourne depuis toujours, ça tourne et vous empêche de dormir. Qu’est-ce qui tourne ? Une roue. Impossible qu’elle cesse, plus on y pense et veut la chasser et plus elle tourne, cette roue.
Un jour à la télé, un type est capable de l’arrêter, il met la main sur le disque, le ralentit, wwwomm, on entend le son revenir en arrière. Il scratche. Alexandre Chanoine commence par être scratcheur. Avec cette façon d’intervenir sur les phénomènes, de reprendre la main, d’insister ou de défaire. Depuis la découverte du son de la pierre dans un atelier de lithographie, il cherche à amplifier les sons du frottement : « On ne grave pas tant une pierre qu’on l’écoute. »
Est-il sculpteur, est-il musicien ? Ce qu’il construit lui permet de faire entendre les pierres, gestes, sons et objets se modifient et évoluent les uns les autres et le corps d’Alexandre tourne autour des choses sans les nommer, c’est une danse. Quand il joue de ses sculptures, il nous ouvre à toute une bibliothèque sonore, la discothèque idéale du paléolithique, avec ses orages et ses trompes, ses grondements, la pluie, les réveils en grattant la paroi, un monde analphabète qui tremble.

Son travail - ses objets, ses idées, ses dessins - est conceptuel, ses expériences sont pauvres et monacales. Je dirais : son travail est consacré au temps.
Matérialiser le temps, en révéler des traces. Faire entendre les dépôts, éroder les choses, passer le temps au tamis (Éphéméride). Jouer du hasard, sérier. Ses dessins récents, qu’il appelle Dalles, consistent à révéler le grain d’un papier préalablement impacté par une pierre, posée ou frottée. Le papier a été marqué et puis on l’a oublié. Alors le dessin, qui commence par le centre et s’agrandit en cercle lentement, est comme un long et lent moment pour faire advenir les traces.
Les objets qu’il active ont un temps, ils évoluent, ont une vie. Il les fait parler, les laisse s’exprimer, avec leur balancement, leur rythme. À force de les lire, les choses écrivent leur propre piste, creusent leur sillon, comme les disques en calcaire de la sculpture sonore Pierre Corde Peau qui se gravent davantage à chaque performance.

Le temps file droit et opère par cycles, suit une ligne et un cercle. Alexandre pose un bras mobile sur une surface de rotation. Son approche du temps questionne les méthodes d’enregistrement et de transfert. Est-ce que les Dalles enregistrent le temps qui passe et pourraient témoigner des paroles qui ont été dites autour de lui lorsqu’il les a tracées ? « Pas vraiment, le dessin n’est pas, comme ça, relié au moment, il ne le conserve pas. »

Quand il raconte les épisodes de sa jeunesse et les met en récit, il se souvient des dates précisément. Aujourd’hui il porte une montre. C’est l’heure, nous sortons de l’appartement, les voix résonnent dans l’escalier. Dans un livre vu chez lui tout à l’heure, Alexandre avait noté ce passage : « La répétition est ce procédé qui en disant une seconde fois la même chose permet de le comprendre vraiment pour la première fois. » {note}1.

1Gilles A. Tiberghien, Pour une république des rêves, Les Presses du Réel, 2011, p. 14