Vous êtes une œuvre de Marianne Vieulès, vous êtes la rencontre, dans la lumière matinale d’une cuisine familiale américaine, entre un astronaute, une informaticienne et un enfant en retard pour son match de baseball.
Vous êtes une œuvre de Marianne Vieulès, vous êtes Jorge Luis Borges déclarant à Richard W. Burgin : « C’est presque insulter les formes du monde que de penser que nous pouvons inventer quelque chose ou que nous ayons même besoin d’inventer quoi que ce soit. » {note}1
Vous êtes une œuvre de Marianne Vieulès et vous n’inventez rien. Cette cuisine, cet astronaute, cette informaticienne et cet enfant existent mais ils ne s’étaient jamais rencontrés avant vous et en-dehors de vous. À bien y regarder d’ailleurs, le toast que l’enfant s’apprête à mordre est grillé à l’effigie de Youri Gagarine – étrange détail pour une scène de cuisine américaine.
Vous êtes une œuvre de Marianne Vieulès, vous exposez la solitude des machines – comme dans la vidéo de ce lance-balle obstiné dont personne ne renvoie les projectiles alors qu’en sous-titre défilent les paroles de « I’ll be there for you », le générique de Friends, cette série où personne n’est jamais seul e.
Vous êtes une œuvre de Marianne Vieulès, vous aimez faire les choses vous-même.
Vous êtes la reproduction faite main du Jet Propulsion Laboratory de la NASA.
Vous êtes une compilation de ce que les astronautes sont ou doivent être sous
forme de courts poèmes commençant tous par « Vous êtes un astronaute, vous… »
Vous êtes une œuvre de Marianne Vieulès, vous ne qualifiez pas, vous ne jugez pas, vous préférez un mot en moins à un mot de trop. Vous parlez de croyance et de superstition comme vous parlez de sciences, parce qu’elles ont en partage l’obstination et la possibilité de l’échec.
Vous êtes une œuvre de Marianne Vieulès et la pensée associative est pour vous un principe. Ainsi, vous avez élaboré un genre de baseball inspiré par des guetteur ses d’extra-terrestres catalan es où les joueur ses portent des maillots floqués d’après les noms d’acteur rices américain es ayant joué des astronautes. Quand vous en parlez, ça tombe sous le sens – exactement comme le flux de conscience de Nick Shay, ce personnage du roman Outremonde de Don DeLillo {note}2, qui associe des choses qui semblent n’avoir rien de commun mais dont le rapprochement obstinément répété
finit par causer l’apparition miraculeuse d’une signification.
D’ailleurs, Outremonde s’ouvre par un mythique match de baseball où, le 13 octobre 1951, les Giants l’ont emporté sur les Dodgers.
D’ailleurs, Nick Shay était fan des Dodgers.
D’ailleurs, des années après le match, il a trouvé et acheté la balle originale de cette défaite. Il a voulu posséder l’objet qui contenait « le mystère de la malchance, le mystère de la défaite » – il a voulu une balle pour « commémorer un échec ».
Vous êtes une œuvre de Marianne Vieulès. Le petit-déjeuner est terminé, la tartine est mangée, l’astronaute et l’informaticienne sont partis, l’enfant a enfilé sa chasuble, vous pouvez enfin vous mettre au travail.
Mais, si vous n’êtes pas une œuvre de Marianne Vieulès et que vous voulez comprendre pourquoi il a été question de baseball pour parler d’une œuvre qui semble bien plutôt intéressée par l’exploration spatiale, il vous suffit de regarder des films américains sur l’espace et les extra-terrestres – et peut-être aussi de comprendre pourquoi un homme peut rêver de posséder le souvenir d’un échec.
Alors, vous verrez que rien n’est inventé.