Rémi Duprat

vu par

Léo Marin

Fictions en kit pour piscine hors sol

Chez Rémi Duprat, l’exotisme ne vient pas d’ailleurs mais de ce qui est sous nos yeux – saturé, domestiqué, consommable. Son travail prend appui sur les formes et les fictions du quotidien : mobiliers de jardin, décorations standardisées, sculptures de rocaille, objets gonflables, couleurs industrielles. Il les manipule, les photographie, les détourne ou les met en scène dans des installations où le trivial bascule doucement dans l’absurde, où le familier prend une teinte de fiction discrète. Les objets standardisés rejouent nos désirs d’évasion sur fond de béton et de chlorophylle artificielle. Quelque chose vacille : une étrangeté feutrée s’installe, un rêve en plastique privé de sa promesse.
Dans cette collision douce entre réel et faux-semblant, l’artiste recompose les paysages mentaux d’une société qui fantasme le dépaysement depuis le confort de son pavillon.

Chez Duprat, rien n’est là pour faire joli. Il révèle le vernis fragile d’un monde où l’aventure se vend en kits, où la nature est redessinée en plastique et où l’évasion prend la forme d’une piscine hors sol posée sur une dalle béton.
Un flamant rose gonflable trône au milieu d’un marécage. Un spa DIY devient un vestige grotesque de nos aménagements intimes. Plus loin, des accessoires de piscine en granit et béton cellulaire incarnent les promesses creuses d’un bonheur standardisé. Ces gestes simples et ironiques tracent une critique douce-amère de nos projections sur le bonheur, de nos désirs aménagés et de nos paradis artificiels.

Duprat travaille avec les matériaux du monde tel qu’il est : plastique, résine, béton, bois aggloméré, polystyrène, couleurs RAL, artefacts bricolés. Il ne cherche pas l’illusion du vrai, mais la collision du factice avec le vivant. L’élémentaire et l’artificiel cohabitent dans des mises en scène qui oscillent entre théâtralité et documentaire. En cela, son œuvre agit comme une archéologie inversée de nos désirs  : elle exhume les formes banales de notre environnement pour en révéler les ressorts idéologiques, les impensés, mais aussi, parfois, le comique involontaire d’un décor qui se prend au sérieux.

Ce qui pourrait ressembler à un jeu formel est en réalité une étude sensible de nos paysages intimes et de l’écosystème culturel qui fabrique nos rêves d’évasion. À travers ses sculptures ou ses installations, Duprat interroge notre rapport au confort et à la simulation du naturel. Son geste n’est pas cynique, il est révélateur.
Derrière l’ironie, c’est une attention tenace à ce qui résiste  : aux formes pauvres, aux matériaux dits «  sans qualité », aux objets usés par l’usage. Ce n’est pas un retour nostalgique au simple, mais une manière de creuser dans le rebut, le préfabriqué, le secondaire – pour y faire surgir d’autres récits, moins glorieux mais plus justes. Dans ces installations bricolées, ces paysages déplacés, l’artiste ne cherche pas une vérité universelle, mais l’expérience concrète d’un monde mal ajusté, dissonant, où quelque chose – malgré tout – insiste.

Loin de tout spectaculaire, le travail de Rémi Duprat propose une économie du dérisoire qui redistribue les signes du décor comme autant de symptômes culturels. Il invite à désapprendre les images qu’on nous vend pour réapprendre à voir ce que nous avons sous les yeux. Et si c’était là, entre deux fausses plantes et une piscine vide, qu’un paysage pouvait commencer à se reformer.

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